8.

Le Dr David Andrews, chirurgien à la retraite, ignorait pourquoi il s’était senti si soucieux après avoir conduit sa fille au train qui la ramenait à Manhattan où elle terminait sa première année à l’université de New York.

Leesey et son frère aîné, Gregg, étaient venus à Greenwich pour la fête des Mères, une journée douloureuse pour eux tous car ils la passaient pour la deuxième fois sans Helen. Tous trois s’étaient recueillis sur sa tombe au cimetière St. Mary, avant d’aller dîner au club.

Leesey avait prévu de rentrer en voiture à New York avec Gregg, mais elle avait changé d’avis à la dernière minute et préféré passer la nuit à la maison et partir le lendemain matin. « Mon premier cours est à onze heures, avait-elle expliqué, et j’ai envie de rester un peu avec toi, papa. »

Le dimanche soir, ils avaient feuilleté des albums de photos et parlé d’Helen. « Elle me manque tant, avait murmuré Leesey.

– À moi aussi, ma chérie », avait-il avoué.

Mais le lundi matin quand il l’avait déposée à la gare, Leesey avait retrouvé son entrain habituel. C’est pourquoi David Andrews ne comprenait pas ce sentiment d’inquiétude qui n’avait cessé de le ronger pendant qu’il jouait au golf le lundi et le mardi.

Le mardi soir, il avait écouté les informations de dix-huit heures trente et s’était assoupi devant la télévision quand le téléphone sonna. C’était Kate Carlisle, la meilleure amie de Leesey, avec qui elle partageait un appartement dans Greenwich Village. Au ton angoissé de sa voix, il se redressa dans son fauteuil de repos.

« Docteur Andrews, Leesey est-elle chez vous ?

– Non, Kate. Pourquoi serait-elle ici ? »

Tout en parlant il regarda autour de lui dans la pièce. Bien qu’il ait vendu leur grande maison après la mort de sa femme et qu’elle n’ait jamais vécu dans cet appartement, il la cherchait instinctivement dès que retentissait la sonnerie du téléphone, s’attendant à la voir tendre la main vers l’appareil qu’il lui avait décroché.

Sa question restant sans réponse, il demanda vivement : « Kate, pourquoi cherches-tu à joindre Leesey ?

– Je ne sais pas, j’espérais seulement… »

Sa voix se brisa.

« Kate, qu’est-il arrivé ?

– Hier soir elle est allée avec des amis au Woodshed, une nouvelle boîte de nuit que nous avions envie d’essayer.

– Où ça ?

– Entre le Village et SoHo. Lorsque les autres sont partis, Leesey a voulu rester plus longtemps. L’orchestre était très bon et vous savez à quel point elle aime danser.

– À quelle heure les autres sont-ils rentrés ?

– Il était environ deux heures, docteur Andrews.

– Leesey avait-elle bu ?

– Très peu. Elle était en pleine forme quand ils l’ont quittée, mais elle n’était pas là lorsque je me suis réveillée ce matin, et personne ne l’a vue de toute la journée. J’ai essayé de la joindre sur son portable, sans obtenir de réponse. J’ai téléphoné à tous ceux qui auraient pu la rencontrer, mais personne ne l’a aperçue.

– As-tu appelé la boîte de nuit où elle était hier soir ?

– J’ai parlé au barman. Il a dit que Leesey était restée jusqu’à la fermeture à trois heures et qu’elle était partie seule. Il jure qu’elle n’était ni ivre ni quoi que ce soit d’autre. Elle est simplement restée jusqu’à la fin. »

Andrews ferma les yeux, s’efforçant désespérément de réfléchir aux décisions qu’il devait prendre, ne sachant par où commencer. Mon Dieu, pourvu qu’il ne soit rien arrivé, se dit-il. Leesey, le bébé qu’ils n’attendaient plus alors qu’Helen était âgée de quarante-cinq ans et qu’ils avaient depuis longtemps abandonné l’espoir d’avoir un second enfant.

Il ôta avec impatience ses jambes du repose-pieds, l’écarta, se mit debout et repoussa en arrière ses épais cheveux blancs. La bouche sèche, il avala difficilement sa salive.

Le plus gros de la circulation est passé, songea-t-il. Je ne devrais pas mettre plus d’une heure pour atteindre Greenwich Village.

« De Greenwich, Connecticut, à Greenwich Village », avait joyeusement annoncé Leesey trois ans plus tôt quand elle avait décidé de s’inscrire avec un an d’avance à l’université de New York.

« Kate, je pars tout de suite, dit Andrews. Je vais prévenir le frère de Leesey. Nous le retrouverons à l’appartement. À quelle distance est-il de cette boîte de nuit ?

– À quinze cents mètres environ.

– A-t-elle pu prendre un taxi ?

– Il faisait beau. Elle sera probablement rentrée à pied. »

Seule dans les rues sombres, tard la nuit, pensa Andrews. S’efforçant de maîtriser sa voix, il dit : « Je serai là dans une heure. Continue d’appeler tous ceux qui selon toi pourraient avoir une idée de l’endroit où elle se trouve. »

Le Dr Gregg Andrews était sous sa douche quand le téléphone sonna et il décida de laisser le répondeur enregistrer le message. Cardiochirurgien au New York Presbyterian Hospital, comme l’avait été son père jusqu’à sa retraite, il n’était pas de service aujourd’hui et avait rendez-vous avec quelqu’un qu’il avait rencontré la veille à un cocktail donné pour le lancement d’un livre écrit par un ami. Il se sécha, alla dans sa chambre et réfléchit à ce qu’il allait se mettre sur le dos. On était en mai et la soirée était plutôt fraîche. Il choisit de porter une chemise bleu ciel sans cravate, un pantalon marron et une veste bleu marine.

Leesley me reproche toujours d’avoir l’air trop conventionnel, se souvint-il, songeant avec un sourire à sa sœur de douze ans sa cadette. Elle prétend que je devrais choisir des couleurs sympa et les assortir. Elle dit aussi que je devrais porter des verres de contact et renoncer à me faire couper les cheveux en brosse.

« Gregg, lui avait-elle dit sans détour, tu es séduisant, pas beau, mais séduisant. Les femmes aiment les hommes qui ont quelque chose dans la tête. Et elles ont toujours un faible pour les médecins. Une forme de complexe d’Œdipe, peut-être. Mais ça ne peut pas faire de mal d’avoir l’air un peu dans le coup. »

Le témoin du répondeur clignotait. Après un moment d’hésitation, il finit par appuyer sur le bouton.

« Gregg, c’est papa. La camarade de chambre de Leesey m’a appelé il y a une minute. Leesey a disparu. Elle est repartie seule d’une boîte de nuit hier, et personne ne l’a revue depuis. Je suis en route pour son appartement. Je t’attendrai là-bas. »

Son sang se glaça dans ses veines, Gregg Andrews interrompit le répondeur et appela le téléphone de la voiture de son père. « Papa, je viens d’avoir ton message, dit-il quand ce dernier décrocha. Je te retrouve chez Leesey. En route j’appellerai Larry Ahearn. Ne conduis pas trop vite. »

Saisissant son mobile, Gregg sortit précipitamment de son appartement, attrapa de justesse l’ascenseur qui descendait de l’étage supérieur, parcourut le hall d’entrée au pas de course et, ignorant le portier, s’élança sur la chaussée pour héler un taxi. Comme toujours à cette heure-là, il n’y avait pas une seule voiture libre en vue. Pris de panique, il scruta les deux extrémités de la me, espérant repérer une de ces limousines qui maraudent souvent dans Park Avenue.

Il en aperçut une stationnée à mi-hauteur du bloc et courut la prendre. Après avoir lancé l’adresse de Leesey au chauffeur, il appela au téléphone son ancien camarade de chambre à Georgetown, devenu commissaire de la brigade du procureur de Manhattan.

Au bout de deux sonneries, il entendit la voix de Larry Ahearn prier son interlocuteur de laisser un message.

Sans chercher à dissimuler son angoisse ; Gregg dit : « Larry, c’est Gregg. Rappelle-moi sur mon portable. Leesey a disparu. »

Il consulte régulièrement sa messagerie, se rappela Gregg tandis que la voiture progressait vers le bas de la ville avec une lenteur désespérante. En croisant la 52e Rue, il se rappela que dans quinze minutes la jeune femme qu’il avait rencontrée la veille l’attendrait au bar du Four Seasons.

Il s’apprêtait à annuler leur rendez-vous quand Ahearn rappela. « Qu’est-il arrivé à Leesey ? demanda-t-il sans préambule.

– Elle est allée danser hier soir dans un de ces clubs du Village ou de SoHo. Elle est partie seule au moment de la fermeture et n’est jamais rentrée chez elle.

– Comment s’appelle cet endroit ?

– Je n’en sais rien pour le moment. Je n’ai pas pensé à le demander à papa. Il est en route pour le Village.

– Qui est au courant ?

– La copine de chambre de Leesey, Kate. C’est elle qui vient d’appeler mon père. Je vais le rejoindre à l’appartement qu’elles partagent toutes les deux.

– Donne-moi le numéro de Kate. Je te rappelle. »

Le bureau privé de Larry Ahearn jouxtait la salle de réunion des inspecteurs. Il se réjouit que personne ne pût voir l’expression de son visage. Leesey avait six ans lorsqu’il était allé pour la première fois chez les Andrews à Greenwich. Il était étudiant de première année à Georgetown alors. Il avait vu la charmante enfant se transformer en une jeune fille d’une beauté saisissante, le genre de fille qui faisait flasher n’importe quel homme, à plus forte raison un prédateur.

Elle avait quitté le bar seule après la fermeture. Seigneur, ces filles étaient folles.

 

Elles ne doutaient de rien.

Larry Ahearn savait qu’il lui faudrait annoncer à Gregg et au père de Leesey qu’au cours des dix années passées, trois jeunes femmes avaient disparu dans le même secteur entre le Village et SoHo après avoir passé la soirée dans un de ces bars.

Où es tu maintenant ?
titlepage.xhtml
Ou es tu maintenant relu_split_000.htm
Ou es tu maintenant relu_split_001.htm
Ou es tu maintenant relu_split_002.htm
Ou es tu maintenant relu_split_003.htm
Ou es tu maintenant relu_split_004.htm
Ou es tu maintenant relu_split_005.htm
Ou es tu maintenant relu_split_006.htm
Ou es tu maintenant relu_split_007.htm
Ou es tu maintenant relu_split_008.htm
Ou es tu maintenant relu_split_009.htm
Ou es tu maintenant relu_split_010.htm
Ou es tu maintenant relu_split_011.htm
Ou es tu maintenant relu_split_012.htm
Ou es tu maintenant relu_split_013.htm
Ou es tu maintenant relu_split_014.htm
Ou es tu maintenant relu_split_015.htm
Ou es tu maintenant relu_split_016.htm
Ou es tu maintenant relu_split_017.htm
Ou es tu maintenant relu_split_018.htm
Ou es tu maintenant relu_split_019.htm
Ou es tu maintenant relu_split_020.htm
Ou es tu maintenant relu_split_021.htm
Ou es tu maintenant relu_split_022.htm
Ou es tu maintenant relu_split_023.htm
Ou es tu maintenant relu_split_024.htm
Ou es tu maintenant relu_split_025.htm
Ou es tu maintenant relu_split_026.htm
Ou es tu maintenant relu_split_027.htm
Ou es tu maintenant relu_split_028.htm
Ou es tu maintenant relu_split_029.htm
Ou es tu maintenant relu_split_030.htm
Ou es tu maintenant relu_split_031.htm
Ou es tu maintenant relu_split_032.htm
Ou es tu maintenant relu_split_033.htm
Ou es tu maintenant relu_split_034.htm
Ou es tu maintenant relu_split_035.htm
Ou es tu maintenant relu_split_036.htm
Ou es tu maintenant relu_split_037.htm
Ou es tu maintenant relu_split_038.htm
Ou es tu maintenant relu_split_039.htm
Ou es tu maintenant relu_split_040.htm
Ou es tu maintenant relu_split_041.htm
Ou es tu maintenant relu_split_042.htm
Ou es tu maintenant relu_split_043.htm
Ou es tu maintenant relu_split_044.htm
Ou es tu maintenant relu_split_045.htm
Ou es tu maintenant relu_split_046.htm
Ou es tu maintenant relu_split_047.htm
Ou es tu maintenant relu_split_048.htm
Ou es tu maintenant relu_split_049.htm
Ou es tu maintenant relu_split_050.htm
Ou es tu maintenant relu_split_051.htm
Ou es tu maintenant relu_split_052.htm
Ou es tu maintenant relu_split_053.htm
Ou es tu maintenant relu_split_054.htm
Ou es tu maintenant relu_split_055.htm
Ou es tu maintenant relu_split_056.htm
Ou es tu maintenant relu_split_057.htm
Ou es tu maintenant relu_split_058.htm
Ou es tu maintenant relu_split_059.htm
Ou es tu maintenant relu_split_060.htm
Ou es tu maintenant relu_split_061.htm
Ou es tu maintenant relu_split_062.htm
Ou es tu maintenant relu_split_063.htm
Ou es tu maintenant relu_split_064.htm
Ou es tu maintenant relu_split_065.htm
Ou es tu maintenant relu_split_066.htm
Ou es tu maintenant relu_split_067.htm
Ou es tu maintenant relu_split_068.htm
Ou es tu maintenant relu_split_069.htm
Ou es tu maintenant relu_split_070.htm
Ou es tu maintenant relu_split_071.htm
Ou es tu maintenant relu_split_072.htm
Ou es tu maintenant relu_split_073.htm
Ou es tu maintenant relu_split_074.htm
Ou es tu maintenant relu_split_075.htm
Ou es tu maintenant relu_split_076.htm
Ou es tu maintenant relu_split_077.htm